samedi 4 août 2012

Un texte de Muriel Berthou Crestey

« Le chemin se fait en marchant » (Antonio Machado)
Habitué à concevoir des installations en miroir de lieux spécifiques, Fred Périé envisage l’environnement comme un laboratoire pour penser les notions de partages, d’interactions et d’échanges. Pour sa création « En cours… (1) », l’artiste transpose l’expérience individuelle de la marche dont Richard Long a fait, dans les années 1970, un matériau de création, en lui donnant une portée collective. Pour Fred Périé, c’est une expérience, une version d’un projet dont il testerait différentes options. Ici, l’homme est censé se frayer un passage, laisser une trace, comme un animal marque de ses empreintes un sol meuble. Les végétaux subissent le passage du corps, le piétinement des pas qui hésitent ou se pressent vers une destination.
Au fond du pré, il a installé un miroir déformant devenu tableau abstrait reflétant, dans l’attente d’une présence, les hautes graminées. Les ronces proliférantes nous installent à distance de cet objet. Ce subterfuge doit attiser la curiosité, intriguer et produire un élan. C’est un prétexte à la déambulation dans le champ, amenant à transgresser l’interdit. Des flèches indiquent des chemins probables tout en offrant la liberté de s’abandonner aux lois du hasard. Leur dispersion égare le spectateur et les détours qui en résultent retardent volontairement la confrontation avec l’étrange reflet perturbé. Privilégiant un « côté aléatoire, diffus et dispersé »1, Fred Périé a voulu faire du corps un matériau, un principe de création et partager la sensation qu’il a ressenti en foulant les herbes hautes. Il propose une progression attentive aux phénomènes et aux mouvements du corps. Il ouvre à chacun le terrain artistique préservé et infranchissable chez les Land-artistes puisque uniquement accessible sous forme de traces. Le champ est en friche. Il devient un labyrinthe où la pensée est conviée à une déambulation prosaïque. Il n’y a rien à produire de concret, juste un mouvement, une expérience à partager, un lieu qui permettrait aussi d’ « imaginer le monde comme le rendez-vous des errants qui s’avancent sac au dos, des clochards célestes qui refusent d’admettre qu’il faut consommer toute la production […] » (Jack Kerouac). Dans ce cheminement en quête de soi-même, nous sommes transportés d’un endroit à l’autre comme des graines emportées par le vent. Les flèches sont noires, miroitantes, discrètes. Evoquant des turbulences, elles ont été disposées selon un schéma établi à partir d’une étude des champs de forces. Fred Périé amenuise leur fonction signalétique en les laissant disparaître dans la végétation. « L’espace médiatique est déjà un labyrinthe où se perdent les informations »2 rappelle-t-il. Le marcheur avance, puis revient, retourne sur ses pas, formant des boucles. L’entrée et la sortie se confondent. Ses allers et retours sont enregistrés par une caméra installée dans les roches de Ham, grâce aux conseils experts de Dominique Delport qui a permis sa diffusion en direct sur le net. L’œil virtuel enregistre chaque frissonnement dans les herbes : performances, déambulations solitaires ou rencontres. Fred Périé veut faire de l’intuition du spectateur un mécanisme de son œuvre. Il n’y a pas de finalité autre que la communication en elle-même : « le message, c’est le médium » (McLuhan). La visée de l’œuvre, c’est le plaisir de la découverte. Il faut pénétrer dans le champ de l’art, pour que l’œuvre se découvre, fonctionne, au gré des pas qui la tracent. Son rythme est altruiste. Le champ se compose de plusieurs voix.
Muriel Berthou Crestey
Docteur en esthétique. Affiliée à l'équipe de recherches "Génétique des arts visuels" de l'ITEM (ENS-CNRS). Critique d'art
1 Propos de Fred Périé recueillis lors d’un entretien, le 7 juillet 2012.
2 Idem.

Le texte de Muriel Berthou Crestey est à paraitre dans le catalogue de l'exposition Intérieurs/Extérieurs
, Usine Utopik en Septembre 2012

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